A l’heure où la pandémie mondiale liée au Covid 19 continue de voler des vies, d’occuper toute la place dans les médias, sous fond de climat de peur et de crise économique rampante, j’ai donc voulu zoomer sur un petit point de la mappemonde, la filière viticole en Bourgogne, pour voir comment ce passage est vécu.
J’ai interviewé plusieurs vignerons, dans les différentes sous-régions viticoles, du Chablisien au Mâconnais en passant par la Côte de Nuits et la Côte de Beaune.
Pour tous cette crise est compliquée, même s’ils reconnaissent ne pas être les plus à plaindre, que l’on soit un vigneron connu ou non, cela permet à chacun de pointer du doigt certains dysfonctionnements ou encore de pouvoir compter sur des schémas mis en place par le passé qui s’avèrent positifs aujourd’hui.
Le problème majeur est celui de la trésorerie : la vigne continue de pousser et en ce printemps, plus que jamais – on peut constater à minima 2 semaines d’avance par rapport à une saison normale – il faut donc recruter des saisonniers pour les travaux en vert, payer les salaires et les charges habituelles etc… mais comment faire quand les ventes sont au ralenti, ou quasi inexistantes depuis 2 mois ?
Pour ceux qui commercialisent via des salons, suite à l’enchainement des annulations pas de commandes et pas de ventes, donc pas la trésorerie habituelle qui permet d’anticiper. Certains ont choisi de se libérer d’une partie de leur production du dernier millésime en vendant du vrac au négoce.
Pour ceux qui ont une part de clientèle de particuliers, les commandes ont continué, avec la particularité de se focaliser sur des vins d’appellation régionale ou village, délaissant les premiers crus et grands crus. Au delà d’une question de budget, est sous tendue l’idée de ne pas avoir l’esprit à la fête, tout en continuant de partager en famille une bonne bouteille de vin.
Les domaines dont la majeure partie de la production est vendue à l’export, leurs commandes passées avant et pendant le confinement peuvent partir, notamment vers les pays du Nord, principalement ceux dont la gestion des alcools est régie par monopole (Canada, Québec, Norvège…). Les pays d’Asie (Chine, Hong Kong…) redémarrent doucement leurs achats.
Les vins réservés sur allocation dans les domaines qui reçoivent plus de demandes qu’ils n’ont de vins à proposer à la vente, diffèrent également leurs expéditions, soit à juin, soit à l’automne.
Pour les vins distribués en CHR (cavistes, hôtels et restaurants), c’est plus compliqué. Les cavistes sont ouverts, mais face à l’incertitude de l’avenir, ils vendent les vins qu’ils ont déjà en stock, sans commander pour le futur. Quant à l’hôtellerie et la restauration, il est évident qu’aucun échange commercial ne peut se faire tant qu’ils ne sont pas autorisés à ouvrir et il est fort probable qu’ils ne se précipiteront pas sur les carnets de commande dès leur ouverture.
Alors qu’est-ce qui a bien fonctionné ? les ventes en ligne qui ont explosé – avec des sites déjà bien structurés (Millésima, Vente à la Propriété etc…), les promos directes par emailings aux clients existants du domaine (prix sur les frais de port) – à condition d’avoir un fichier client.
Dans d’autres régions viticoles, des vignerons ont eu des initiatives collectives : 6 bouteilles du domaine et 6 découvertes d’autres cépages ou vignerons de France.
Et cela a permis également à la plupart de passer davantage de temps dans les vignes, pour revenir à l’essentiel, être vigneron.
Notre planète est un vaste puzzle, une chaîne, où chacun d’entre nous a son rôle à jouer et si l’un des maillons vient à casser, à manquer, ne pourrions nous pas profiter de ce passage dans notre vie pour nous réinventer, pour réfléchir au monde d’après ? Plus créatif, plus respectueux de la Nature et de tous les êtres vivants qui la composent, humains y compris.
Cela impliquera sans doute moins de déplacements, qui parfois se faisaient un peu à tort et à travers et une meilleure utilisation des moyens virtuels, pour montrer qui est derrière telle ou telle bouteille et replacer l’humain au coeur de son terroir et de son produit.
C’est aussi pour cela que j’ai créé en 2018 la chaîne YouTube CULTUREWINETV, pour parler des métiers du vin et maintenant servir de plateforme aux vignerons qui sont intéressés, à laquelle vous pouvez vous abonner.
Je vous propose de me laisser vos commentaires ou de me contacter si vous avez vous-mêmes pris des initiatives inhabituelles, avec un impact positif ou au contraire sans résultat.
Je remercie tous les dirigeants de domaines qui ont bien voulu témoigner de leurs difficultés et inquiétudes face à cette crise : Auber Lefas (domaine Lejeune à Pommard), Loïc de Suremain (domaine de Suremain à Mercurey), Jean-Luc Vitoux (domaines Belleville à Rully & la Comarraine à Pommard), François de Nicolay (Domaine Chandon de Briailles à Savigny-les-Beaune), Marco Cashera (Maison Vincent Girardin à Meursault), Régis Parigot (Domaine Alexandre Parigot, à Meloisey), Clémentine Vocoret (Laurent @ Yvon Vocoret à Maligny), Philippe Chautard (Crémants Louis Picamelot à Rully).
Marie-Antoinette de Szczypiorski